Le plaisir vu par…

Publié le 29 septembre 2008 à 13:07 Mis à jour le 6 novembre 2008 à 15:54
Le plaisir vu par…
Le plaisir, est-ce comme le bonheur? Est-il durable, sage, ou simplement sensuel... Quatre points de vue, pour vous faire réfléchir. Et agir!

Michel Lacroix, philosophe* : “S’autoriser le plaisir demande parfois sagesse et maturité”

“Longtemps, la question était: est-ce que j’ai le droit de me faire plaisir ou pas? Avec, en arrière-pensée, de la culpabilité. Aujourd’hui, c’est: est-ce que j’en ai envie ou pas? Ce qui nécessite, pour le savoir, une certaine lucidité sur soi-même et une bonne dose de discernement. Contrairement à ce que l’on croit, les vertus de l’individualisme ne sont pas l’expression d’un égoïsme, mais l’affirmation de ce que l’on est. C’est difficile, car la confusion des désirs est entretenue par notre société de consommation. Celle-ci fait tout ce qu’il faut pour télécommander nos impulsions, nous inciter à imiter telle personnalité, nous dicter ce qu’il est de bon ton de posséder. Bref, nous proposer ce qu’on peut appeler des contrefaçons du plaisir, qui génèrent et entretiennent l’insatisfaction. Savoir se faire plaisir demande en fait de la sagesse et une certaine maturité.”

*Agrégé de philosophie et maître de conférences des universités.Auteur du Culte de l’émotion, du Courage réinventé et de Avoir un idéal est-ce bien raisonnable?, tous parus chez Flammarion.

Dominique Miller*, psychanalyste :“Ne jamais oublier qu’il est éphémère, donc précieux”

“Notre société fait la promotion du plaisir à tout prix. Avec leur surabondance d’objets de désir, les supermarchés nous entretiennent dans cette illusion qu’il est possible et facile de combler nos manques, d’apaiser nos angoisses et d’aplanir notre difficulté à être. Une dérive qui s’étend même au marché du médicament qui nous propose des pilules miracles capables «d’anticiper» la souffrance, le mal-dormir ou d’autres expressions d’un mal-être. Cette société de l’excès touche également le plaisir du «bien manger» qui peut se transformer en obsession et en boulimie, un des grands maux d’aujourd’hui. Il faut savoir qu’en terme analytique, la souffrance et le plaisir sont intimement liés et que notre psychisme est sans cesse tiraillé entre Éros et Thanatos. C’est-à-dire qu’une partie de nous est attirée par la vie, tandis que l’autre est tentée par la mort et le néant. Accepter cet état de fait nous permet de mieux jouir de certains moments de plaisir, à condition toutefois de ne jamais oublier qu’ils demeurent éphémères. Et que c’est cela justement qui les rend tellement précieux.”

* Psychanalyste, psychologue clinicienne, directrice du Collège freudien et enseignante à l’université Paris-VIII. Elle est également l’auteur de La Psychanalyse et la Vie, éditions Odile Jacob.

Jean-Didier Vincent*, neurobiologiste: “Ne le confondez pas avec le bonheur”

“Le plaisir est un état transitoire du corps, inséparable du désir qui lui a donné naissance, et il s’épuise en même temps que le désir, alors que le bonheur est le résultat d’un choix personnel soutenu. Fondamentalement, le plaisir, chez l’homme et chez l’animal vertébré, passe par les mêmes structures. Des millions de neurones s’excitent entre eux. Des potions magiques comme la dopamine, surnommée «le neuromédiateur du plaisir», génèrent cette sensation de plaisir ressentie par le corps. Celle-ci joue en effet un rôle clé sur lequel converge l’ensemble des modulations régulatrices. Le désir est «un», comme le plaisir, mais se diversifie en fonction des objets qui le spécifient (désir sexuel, de nourriture ou faim, de boisson ou soif). On ne peut pas définir convenablement le plaisir ou le désir, dont il est inséparable sur le plan biologique. Ils reposent uniquement sur la subjectivité.

* Neurobiologiste, professeur émérite, membre de l’Académie des sciences et de l’Académie de médecine, et auteur de Voyage extraordinaire au centre du cerveau, éditions Odile Jacob.

Rémi Bertrand*, écrivain : “Je sens donc, je suis! C’est la devise du sensualisme”

“Chez Delerm et les autres auteurs qui s’apparentent à sa pensée, le bonheur n’est pas une somme de plaisirs, ni une quête de plaisir effrénée, mais plutôt un sensualisme exacerbé dont la devise pourrait être «Je sens, donc je suis», largement développé, notamment par André Comte-Sponville dans certains de ses ouvrages (dont Le Bonheur, désespérément, éditions Librio). Ceux qui les critiquent leur reprochent un soi-disant égoïsme, nombrilisme et narcissisme. Le mode de vie des partisans du minimalisme est tout autre. C’est s’accorder le droit d’être heureux, se donner du bon temps , en œuvrant pour un monde meilleur. Pour résumer, le plaisir serait plus une manière d’être au présent, d’aimer ce que l’on fait au moment où on le fait, et d’apprécier. Une philosophie qui permet de trouver du bonheur à tout ce que l’on fait dans la vie.”

*Auteur de Philippe Delerm et le minimalisme positif, éditions du Rocher.

Sylvie Charier
Publié dans Pleine Vie n° 269, novembre 2008
LIRE AUSSI:

Le plaisir véritable art de vivre

Commentaires

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Pleine vie