Jean et Héloïse d’Ormesson, conversation intime

Publié le 5 décembre 2017 à 13:19 Mis à jour le 7 décembre 2017 à 14:53
Jean et Héloïse d’Ormesson
Jean d'Ormesson, nous a quittés à l'âge de 92 ans, le 5 décembre 2017. Nous avions rencontré en 2009 l'académicien et Héloïse, sa fille unique, fondatrice d'une maison d'édition. De toute évidence, ces deux-là se vouaient une admiration réciproque.

Quel genre de père avez-vous été pour votre fille, quand elle était enfant ?

Jean d’Ormesson – Un père tendre et lointain. C’est sa mère qui l’a élevée. Je ne me suis pas beaucoup occupé d’elle et, au fond, je m’en suis un peu voulu. Je redoutais beaucoup les obligations, les liens, les responsabilités. Le mariage me paraissait déjà quelque chose d’insupportable, alors un enfant, c’était encore un poids, ça m’empêchait de partir quand je voulais, ça me fixait peut-être un peu trop.

Héloïse d’Ormesson – Je ne dirais pas de mon père qu’il était lointain. Il était très proche, très complice, mais il n’a pas assuré son autorité. Il était plus un père ami qui avait le goût du partage, mais pas du tout le sens de l’éducation. Comme il déteste les contraintes, il n’aimait pas non plus en fixer aux autres. Sur ce plan là, il a été absent. Il était concerné par mes études, mais ne s’intéressait pas du tout à mes notes et aux remarques des enseignants. Sur le terrain intellectuel et affectif, en revanche, il a été extrêmement présent. Mais, dans le concret et le quotidien, c’était effectivement ma mère qui assumait.

Quelles valeurs avez-vous cherché à transmettre à Héloïse ?

J’ d’O – J’ai tenté de faire de ma fille quelqu’un de libre, d’indépendant, d’heureux et qui essaie d’agir pour le mieux. Au fond, j’y suis merveilleusement parvenu : elle s’est opposée à ses parents comme il le fallait, elle n’était pas aveuglément soumise, elle a eu très vite ses propres convictions. Il n’était pas question pour moi de lui imposer quelque certitude politique intellectuelle, religieuse. J’ai toujours été prudent dans les leçons que je lui donnais. J’ai essayé de lui transmettre l’idée qu’il fallait tâcher d’aller toujours un peu plus loin, et finalement, j’ai été béni au-delà de mes espérances puisqu’elle a très bien réussi toute seule et ce, sans être arriviste.

H d’O – Un autre point s’est avéré extrêmement formateur. Mon père n’a jamais été intransigeant sur ma scolarité, mais je le voyais travailler tous les soirs et tous les week-ends. Il me démontrait ainsi que la réussite ne vient pas sans effort.

J d’O – Je crois avoir enfin appris à Héloïse que l’argent est utile mais qu’il ne faut pas trop y penser. J’ajouterais qu’à ses débuts dans sa vie professionnelle, je ne l’ai absolument pas aidée, ni plus tard à monter sa maison d’édition. Je n’aime pas beaucoup les recommandations, je n’en ai jamais sollicité pour moi-même. C’est peut-être pour ça qu’à un moment, je me suis quand même dit que je pouvais bien lui permettre de publier mes livres. Je l’ai si peu épaulée…

A une intervieweuse qui vous demandait ce que vous sauveriez en cas d’incendie de votre appartement, vous aviez répondu « mon manuscrit, puis ma fille ».

J d’O – J’avais dit mon manuscrit d’abord et ma fille est si intelligente qu’elle s’en tirera toute seule ! Cela signifie-t-il que la littérature a pu passer avant tout, même avant votre famille ?

J d’O – Hélas, oui !

Que vous inspire cette réponse, Héloïse ?

H d’O – Indiscutablement, la sève de la vie de mon père, c’est la littérature, j’en suis consciente.

J d’O – Héloïse ferait exactement la même chose ! Si elle devait choisir entre un rendez-vous avec un auteur et un goûter de famille, ne croyez pas qu’elle hésiterait un instant !

Mais qu’emporterait-elle en premier en cas de sinistre ?

H d’O – Je sauverais d’abord mon père !

J d’O – Oui, mais son père… lui donne des manuscrits ! (il rit) Pour revenir à l’interview que vous évoquiez, sachez que mes propos comportaient un peu de provocation.

Parlez-nous, Héloïse, de vos premiers contacts avec la littérature…

H d’O – Du sous-sol à la salle de bain, la maison de mes parents est tapissée de livres. Pour moi, la bibliothèque est un mur porteur et cette omniprésence a été déterminante. Je me revois déchiffrant à peine l’alphabet, ouvrant Le Capital de Marx et en lire des bouts de phrases. Ce contexte a déterminé ma vocation. Toute petite, j’ai voulu devenir éditrice.

Vous n’avez jamais eu envie d’écrire à votre tour ?

H d’O – C’était totalement impossible. D’abord, je ne m’en sens pas du tout capable. Et ce d’autant moins que je ne m’imagine pas égaler mon père.

J d’O – Tu as encore le temps de changer d’avis… Moi, je me suis mis à écrire très tard, à 35 ans, parce que je plaçais la littérature si haut qu’il me semblait inconcevable d’y parvenir. J’ai publié mon premier roman sous les ricanements de mes camarades de Normale Sup qui ne juraient que par les travaux d’érudition.

H d’O – Mais je subis une double autocensure. D’une part, il me parait extrêmement difficile de faire mieux que les anciens et même que certains modernes ; de l’autre, l’image de mon père m’inhibe. Mais je n’en conçois pas de frustration.

Est-il facile pour vous de porter le nom de d’Ormesson ?

J d’O – Il y a une histoire assez célèbre. A un examinateur du brevet qui voulait savoir si elle avait une parenté avec d’Ormesson, elle avait répondu : « oui, je crois qu’il y en a une ». C’est la légende qui court…

H d’O – En réalité, ce n’est pas tout à fait ça. Il me demandait si j’étais la fille du d’Ormesson qui… était ministre ! Comme son allégation était fausse, j’ai répondu « non », j’ai joué sur l’ambiguïté.

J d’O – C’est un peu comme ces gens qui m’arrêtent dans la rue et me disent :  » je vous admire tellement, mais… rappelez moi donc ce que vous faites ? »

H d’O – Pour répondre à votre question, c’est un extraordinaire atout de porter le nom de d’Ormesson. Mais c’était plus compliqué quand j’avais seize ans. Déjà un nom à particule quand on est adolescent et qu’on a tendance à s’étiqueter, ce n’est pas toujours aisé. Ensuite, mon père était plus marqué politiquement et plus connu comme journaliste que comme écrivain. Dans les années 70, l’actuelle « idole des jeunes » était un éditorialiste de droite. Sa notoriété a complètement changé. Aujourd’hui, tu es infiniment moins à droite que les membres du gouvernement et infiniment plus à gauche ses ministres dits d’ouverture.

Quels souvenirs gardez-vous de l’élection de votre père à l’Académie Française en 1973 ?

J d’O – Lors de la réception où l’on me remettait mon épée, elle aurait répondu à un monsieur qui lui demandait si elle était fière de son Papa : « je n’ai pas attendu qu’il soit Académicien pour être fière de lui » !

H d’O – Je considérais que ce n’était pas ton élection qui faisait ton talent…Qui est le plus fier de l’autre ? Le père de sa fille ou l’inverse ?

H d’O – C’est une petite société d’admiration mutuelle qui vaut pour trois générations car j’ai moi-même une fille unique, désormais adolescente.

J d’O – … et qui est elle-même porteuse de beaucoup d’admiration ! Grand-père, c’est un statut qui vous convient ?

J d’O – Je me rattrape avec ma petite-fille. Je n’en suis pas responsable, donc je suis toujours demandeur pour la voir. C’est un rôle qui me plait beaucoup.

A lire : « Saveur du temps », Jean d’Ormesson, Éditions Héloïse d’Ormesson, 21 €

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