Miou-Miou dans « Larguées » : l’audace tranquille. INTERVIEW

Publié le 23 avril 2018 à 11:00 Mis à jour le 24 avril 2018 à 08:24
Miou Miou interview
La comédienne nous revient dans "Larguées", comédie parfaitement raccord avec son tempérament : gai, drôle et plus libre que provoc'. Retour aussi sur ses années Café de la Gare avec Coluche et Patrick Dewaere et sur Julien Clerc.

Fille d’une vendeuse de fruits aux Halles, Miou-Miou a grandi dans l’« ambiance hors-la-loi » du Ventre de Paris. Plus tard, la jeune femme a refusé d’être tapissière autant que de faire tapisserie ; elle a pris 68 à bras-le-corps, tourné quelque 90 films et reçu le dernier comme un cadeau. En prouvant, au passage qu’une « mamie » épanouie de trois petits-enfants peut oser encore, et toujours…

En quoi la liberté de ton d’Eloïse Lang vous a-t-elle permis de réaliser que vous viviez « dans une certaine autocensure inhérente à l’époque » ?

Dans « Larguées », on boit, on danse, les répliques claquent, Eloïse ne s’interdit rien. Réalisatrice, je n’aurais pas eu cette audace. Je n’aurais pas évoqué l’alcool, la drogue, pour ne pas inciter à la consommation. J’aurais banni certaines choses ou n’y aurais même pas pensé, ce qui est pire. Car, si l’on raisonne comme ça, un film devient un cours de morale, ennuyeux comme un jour sans pain.

Vous aviez 18 ans en mai 1968. Qu’a représenté cet épisode dans votre parcours ?

J’ai eu 68 ans cette année et j’ai, à chaque fois, signé « Miou 68 » ! A l’époque, j’étais « saute-ruisseau » dans un atelier de tapisserie. Je voyais ma vie dessinée et j’en concevais une tristesse profonde. Mai 68, c’était comme si la vie devenait en couleurs, on se parlait partout dans la rue, les portes s’ouvraient, tout était possible.

Un contraste avec l’ambiance familiale ?

Mes parents étaient adolescents pendant la Seconde Guerre Mondiale : ma mère avait perdu la sienne pendant le Débarquement et avait été blessée par un éclat d’obus. Ils étaient, de ce fait, un peu perdus, tout en ayant hérité de leurs propres parents une autorité militaire : les enfants ne parlaient pas à table, gifles et fessées étaient monnaie courante. J’ai eu une enfance assez lourde, pas misérable, mais pauvre. Je suis née un peu adulte. Et j’ai été très contente de m’en aller. Très !

Vous leur avez fait un sacré coup en partant au bras d’un « numéro » comme Coluche !

Je ne suis pas partie à son bras, j’ai claqué la porte (elle serre les dents) et comptais ne jamais revenir. Comme je sortais avec lui, je suis allée le trouver. Il chantait dans des cabarets, mais personne ne savait qui était Michel Colucci. Il vivait à Montrouge chez sa mère. La mienne voulait l’attaquer pour détournement de mineure : la majorité était à 21 ans. Je l’ai menacée d’aller voler si elle faisait ça et elle en serait responsable. Elle m’a émancipée et, le même jour, je suis allée aux Prud’hommes pour rupture de contrat d’apprentissage. Car je ne suis pas non plus retournée à l’atelier.

Comment avez-vous, alors, construit le Café de la Gare ?

Nous fauchions pas mal de matériaux, nous nous lavions aux bains-douches, ne savions pas où dormir et gérions tout, de la lumière aux entrées. J’ai cousu les rideaux, je savais faire ! Je n’avais pas le désir d’être actrice, je ne comprenais pas grand-chose, mais j’avais pour vertu de me taire.

Et l’esprit de bienveillance de ce café-théâtre vous convenait…

Je n’aime pas ce mot qui sous-entend qu’il y a une faute en face et renvoie à un esprit peu catho. C’était passionnant parce qu’on n’avait pas le droit de juger les autres.

Que reste-t-il en vous de Sylvette Herry ?

Elle fait partie de moi, il n’y a pas de rupture. Je pense beaucoup à la petite fille que j’étais. Gentiment, tendrement. J’avais écrit dans des carnets : « quand tu seras grande, ne te moque jamais de moi. »

Le cinéma vous a-t-il grisée, vous qui veniez d’un milieu modeste ?

Impossible. J’ai sauté une classe sociale, mais je reste marquée par mon émerveillement des premières fois. Comme ce premier petit-déjeuner avec des pots de confiture. Ce qui était compliqué, c’est que j’associais le travail à la fatigue physique, à la sueur, du fait de mon entourage. Un jour sur « Les Valseuses », on a éclairé, pendant deux heures, un plan où j’avais une seule phrase à dire. Je ne savais pas comment déployer assez de talent pour « rentabiliser » cette préparation. Et quand Coluche, Dewaere et moi avons accédé à la notoriété, nous étions un peu déroutés. Etre connu… comment jouer ça ? Nous avons acheté une Mercedes, pris un copain pour chauffeur et secrétaire. C’était joli, d’ailleurs, de ne pas avoir le mode d’emploi.

Étiez-vous celle qui larguait ou que l’on larguait ?

En majorité celle qui largue, peut-être pour ne pas l’être. Et je draguais beaucoup. L’époque était hyper sympa : quand on attrapait une petite maladie vénérienne, c’était la cata, autant dire que ça n’avait rien à voir avec le Sida. L’autre jour, j’ai tourné avec une actrice de mon âge, également dans la catégorie des grandes dragueuses. On se disait en regardant certains hommes : « est ce que je suis allée avec lui ou pas ? » Ca durait parfois tellement peu de temps qu’on ne savait plus trop.

Une femme pourrait-elle toujours draguer comme vous autrefois ?

Je pense, non ? En tout cas, la libération de la parole est très importante. Quand j’étais jeune, être poursuivie dans la rue, attaquée, violée, relevait du lot de gros « accidents ». On se disait, fataliste : « pourvu que ça n’arrive pas ». Les femmes en parlaient en lavant la vaisselle et en murmurant. Le secret entourait les avortements, les viols. Grâce au mouvement actuel, on affirme que ces agressions ne font pas partie des accidents, mais des choses à ne pas subir. Et je pense à celles qui, harcelées chaque jour au travail, se demandent si elles doivent passer à la casserole ou risquer d’être virées.

La répartition des tâches avec les papas de vos filles était-elle paritaire ?

Celui d’Angèle (ndlr : Patrick Dewaere) s’est éclaté la tête alors qu’on était déjà séparé. Avec celui de Jeanne (ndlr : Julien Clerc), je crois qu’on s’est partagé les choses. Il devait, d’ailleurs, être plus présent en cuisine et moi au bricolage, ce qui avait frappé Jean-Loup Dabadie. Quand j’ai voulu des enfants, j’ai dit aux futurs géniteurs : « s’il te plaît, j’aimerais avoir un bébé, c’est mon envie la plus puissante, mais ne t’inquiète pas. Il portera mon nom et je m’occuperai de tout. » Je suis fière de mes filles et contente : elles sont indépendantes financièrement, c’est un gage de liberté.

Comment concevez-vous votre place de grand-mère ?

On change de case sur l’échiquier, on ne fait plus partie des personnes les plus importantes. Il faut le comprendre. Ne pas s’ingérer dans les couples, dans l’éducation. C’est un peu compliqué, mais on apprend. Je conseille aux grands-parents de raconter leur enfance ; les petits adorent ça. Ils ont sur les rides, les mains flétries, la curiosité tranquille que j’avais avec ma grand-mère.

Comment avez-vous vécu la mort tragique de deux hommes que vous avez aimés ?

La déflagration, c’est Dewaere. On ne se voyait pas, il vivait avec une autre femme, avait eu une autre enfant, mais je pensais que quand Angèle serait plus grande, ils se regarderaient et constateraient qu’ils avaient les mêmes pieds, les mêmes yeux, le même petit nez. Cette nouvelle, je refusais de l’entendre. Et comment l’annoncer à sa fille ? Je voulais l’informer avant tout le monde et devant un beau paysage. Nous étions en Bretagne, je l’ai emmenée au bord de la plage et elle m’a dit : « il n’a pas pensé à moi ». Avec Coluche, heureusement, je n’avais pas d’enfant. Mais j’étais sidérée. Et étonnée, le lendemain que les gens marchent, parlent… le monde aurait dû s’arrêter. Sa mort n’a, cependant, pas eu du tout la même résonance que celle de Patrick.

Gagne-t-on une certaine liberté en vieillissant ?

J’ai toujours été libre. Ce que j’espère, c’est que mes filles ne penseront pas : « allez, il faut aller la voir » avec une espèce d’accablement, alors qu’on passe sa vie à essayer de se faire aimer. Ce serait bête de rater sa sortie.

BIO EXPRESS

22 février 1950 – Naissance à Paris de Sylvette Herry

1980 – César de la meilleure actrice (La dérobade) qu’elle ne va pas chercher.

1986 – Retrouve Bertrand Blier avec Tenue de soirée douze ans après Les Valseuses.

1997 – Dixième nomination aux César pour Nettoyage à sec.

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