« Cannibales », le délicieux roman d’amour sauvage de Régis Jauffret à dévorer dare-dare
Geoffrey (Jauffret), un architecte d’une cinquantaine d’années, devient malgré lui, l’offrande d’un festin mijoté au feux de l’imagination de sa compagne, Noémie, une jeune peintre de vingt-quatre ans, et de sa propre mère, Jeanne, quatre-vingt ans passés, et bourgeoise cabourgeaise… Noémie l’amoureuse déçue va faire alliance avec sa belle-mère, forcément déçue, dans une vengeance tardive mais bien mûre à l’encontre de ce pauvre garçon, devenu l’objet de toutes les concupiscences gustatives et noirs desseins. De poulet en poulet, la liaison dangereuse des deux femmes les transforme en brigade… de cuisine.
De Rabelais à Montaigne
Il y a de la joie de vivre dans ce projet cannibale. Mais surtout de la chair, des épices et du saindoux. De l’humeur de géantes pour un lilliputien… « Qu’il soit succulent le corps de mon fils mort » dit la mère. On le sait, l’instinct maternel pousse parfois les limites de l’indécence et le bon sauvage qui sommeille quelque part dans les jupons de la nourrice peut ressurgir. Au bal du cannibale n’est pas pris qui croyait prendre. On aime au point de dévorer le petit poucet. Dans une célébration fantasmée, traversée par le besoin de faire disparaitre la carcasse, elles pensent à l’engloutir : « La haine est sans doute la seconde patrie de l’érotisme », lit-on au fil du récit. Il s’agit bien de cela de bacchanales.
De l’amour à la mort
Dans le jeu du « Qui n’aime pas qui? » de ces 190 pages, on se laisse entraîner : « L’amour, c’est la seule chose que l’on ne sache pas. Cependant quelque part quelqu’un est aimé par quelqu’un. Personne ne prouvera que ce n’est pas nous », et finalement, cela n’est pas le propos. Seule compte la violence des sentiments. La haine fait vivre certain plus que l’espoir. De la philosophie, il y en a dans ce roman, de la langue magnifique aussi mais c’est l’humour cynique, la perfection dans la cruauté qui nous retient… notre mauvais génie personnel s’y trouve en tellement bonne compagnie.
Les femmes sont des ogresses qui mangent les petits garçons déguisés en hommes. Et n’est-ce pas délicieux de se faire dévorer par elles… L’auteur y a goûté c’est presque certain.
Régis Jauffret en quelques dates
Né le 5 juin 1955 à Marseille, Régis Jauffret est l’auteur de nombreux romans, dont «Univers, univers» (prix Décembre, 2003), «Asile de fous» (prix Femina, 2005), «Microfictions» (2007), «Sévère» (2010), «Claustria» (2012), «la Ballade de Rikers Island» (2014), et «Bravo» (Seuil, 2015).
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