« Né au bon moment », la biographie très attendue du plus caustique des auteurs anglais: David Lodge!

Publié le 10 mars 2016 à 07:00 Mis à jour le 30 décembre 2022 à 10:31
David Lodge
A 81 ans, l'écrivain anglais publie le premier tome de ses mémoires, "Né au bon moment"*. Interview avec l'auteur de La Chute du British Museum, Changement de décor, Un tout petit monde, Thérapie, La vie en sourdine et autres best-sellers.

Il a de l’Angleterre l’humour caustique, de la religion catholique le doute et la question de la transgression, ce spécialiste de la fiction a mis sa vie en mots depuis longtemps. Cette fois, il s’y donne dans sa biographie ‘Né au bon moment »

Pourriez-vous rassurer vos fans : le fait de publier vos mémoires ne signifie pas que vous allez cesser d’écrire des fictions ?

Je prends des notes pour un prochain roman auquel je m’attaquerai après le second tome de mes mémoires. J’ai publié mon premier roman à l’âge de 25 ans, j’en ai maintenant 81. C’est une longue carrière de romancier. Mais je ne veux pas publier pour publier, juste pour prouver que je suis vivant. Pas question d’écrire un roman quelconque !

À 52 ans, vous avez pris une retraite anticipée en tant que professeur à l’université pour pouvoir vous consacrer à l’écriture. Ça existe, un romancier retraité ?

Bien sûr que non. Je ne m’arrêterai jamais d’écrire. Mais le roman est une forme d’écriture exigeante, probablement la plus accaparante, celle qui requiert le plus d’énergie intellectuelle. Etant jeune, j’écrivais plus vite. Mais depuis quarante ans, je consacre plusieurs années à chaque roman. Quand vous songez qu’ensuite, c’est lu en 10 ou 15 heures!

Vous avez mené deux carrières parallèles, celle de professeur de littérature et celle d’auteur. Puis-je demander au professeur de nous présenter le romancier?

Je suis un romancier « littéraire », à l’instar de Julian Barnes, Salman Rushdie ou Martin Amis. Comme eux, je considère le roman comme une forme d’art mais aussi de divertissement. Le vrai test pour un livre : aurez-vous envie de le relire? Si oui, c’est un bon roman. Cela me fait plaisir lorsque des lecteurs m’écrivent qu’ils ont relu tel ou tel de mes romans.

Le test fonctionne-t-il avec tous vos romans?

Les quatre premiers ont des faiblesses. Ils recèlent des choses intéressantes, une vitalité, une énergie stylistique que j’ai sans doute perdue depuis. Mais je suis plus fier des suivants, à partir de Changement de décor. Pour revenir à votre question, mes romans sont réalistes. Je n’ai jamais été attiré par la littérature fantastique. Ils ont une veine comique, très anglaise. À quoi s’ajoute un élément de métafiction (pardon pour le jargon, la métafiction, c’est le commentaire de la fiction). Enfin, je m’intéresse au milieu catholique ainsi qu’au milieu universitaire. Tout simplement parce que c’est mon univers !

Vous dédiez vos mémoires à votre épouse Mary. Vous aviez 17 ans lorsque vous vous êtes rencontrés à L’University College of London. Après plus de 60 ans ensemble, vous êtes un couple très uni. Vous comprenez que cela puisse être un motif d’étonnement pour les jeunes d’aujourd’hui ?

C’est un motif d’étonnement pour moi ! Pour elle aussi ! Il se trouve que je suis entré à l’université très jeune. Je suis toujours fasciné par la part du facteur chance dans l’existence. Si Mary s’était inscrite dans une autre université, ou si elle avait étudié une autre matière, on ne se serait peut-être jamais rencontrés, on aurait épousé quelqu’un d’autre, on aurait peut-être divorcé plusieurs fois depuis. Le fait d’être catholiques tous les deux -donc faisant partie d’une minorité en Angleterre- nous a immédiatement rapprochés. Même si nous avons évolué différemment sur ce sujet. À l’époque, j’étais influencé par les écrivains catholiques, Graham Greene, Evelyn Waugh. Ils se distinguaient des autres. Vous remarquerez que la proportion de Catholiques parmi les écrivains anglais excède le pourcentage de Catholiques dans la population britannique. Mon sixième roman Jeux de maux, m’a amené à faire des recherches sur ma religion. Après quoi ma foi a évolué, je suis devenu plus sceptique. Aujourd’hui, je ne vais plus à la messe. Mais je m’intéresse à la théologie. C’est seulement depuis que je ne vais plus à l’église que j’ai pu lire intégralement le Nouveau Testament !

Quand avez-vous décidé d’écrire vos mémoires ? Et Pourquoi ?

Il y a sûrement un peu de vanité. Et puis, sinon, quelqu’un d’autre s’en serait occupé après ma mort. On n’est jamais mieux servi que par soi-même. Je dispose d’archives considérables, des centaines de lettres, utiles pour la chronologie. Il y en a presque trop. Mais c’est fascinant de se replonger dans le passé. J’ai récemment visionné une émission littéraire à laquelle j’avais participé sur la BBC. Je me suis revu à 45 ans, c’est fou ce que j’étais jeune et disert !

Vous êtes né en 1935, quelques années avant le déclenchement d’une guerre mondiale, et vous intitulez vos mémoires « Né au bon moment ». C’est surprenant.

Le titre en anglais est « Quite a good time to be born ». L’adverbe anglais « quite » est un mot que j’aime beaucoup car il est ambigu. Ainsi, l’expression « quite good » peut prendre plusieurs sens, « relativement bon », « assez bon », « plutôt bon » ou encore « fantastique ». J’ai été enfant pendant la guerre, ce qui n’est pas le meilleur des environnements, loin s’en faut. Mais le monde dans lequel j’ai évolué par la suite a connu des mutations extraordinaires, progrès sociaux, évolution des moeurs, révolution technologique… En ce sens, j’ai eu la chance de connaître une époque passionnante. Voilà pourquoi j’ai choisi ce titre, « Né au bon moment ».

Considérez-vous 2016 comme « un bon moment » pour venir au monde ? La menace terroriste et les tensions que nous traversons actuellement vous inspirent-elles en tant que romancier ?

La situation est évidemment alarmante mais je ne crois pas que je puisse apporter quoi que ce soit sur ces sujets. Je vis confortablement à Birmingham, à distance du phénomène migratoire sans précédent qui se produit actuellement en Europe. Les Parisiens qui ont vécu les tragiques attentats de janvier et novembre 2015 resteront marqués à jamais par ces événements. Je ne me sens pas légitime pour m’exprimer sur ce thème. Je me suis toujours inspiré de mes expériences personnelles, et lorsque je me trouvais à cours de matière dans ma propre existence, j’ai écrit des romans biographiques sur Henry James et H. G. Wells.

Le fait d’accepter un poste de professeur à l’université de Birmingham en 1960 a été déterminant. Vous n’avez jamais quitté Birmingham depuis. Etes-vous londonien ou brummie ?

Un peu des deux. Psychologiquement, il me semble qu’on appartient à la ville dans laquelle on a grandi. En ce sens, je me sens londonien, mais je suis un brummie d’adoption. Birmingham est la ville où j’ai séjourné le plus longtemps. Je vais aborder cette question dans le deuxième tome de mes mémoires : pourquoi je suis resté à Birmingham. Un peu comme pour le mariage, c’est très lié aux enfants, on n’a pas envie de les extraire d’une ville où ils se sentent bien.

Est-ce un handicap pour un romancier de vivre à l’écart du milieu littéraire londonien ?

Au contraire. Peu d’écrivains situent leurs récits à Birmingham. Cette ville -la deuxième plus importante d’Angleterre- m’a beaucoup inspiré. Et puis nous avions recréé un cercle littéraire avec les écrivains qui habitaient dans la région. Nous déjeunions une fois par mois au restaurant chinois, avec Jim Crace (connu pour son roman Moisson), le dramaturge David Edgar, Andrew Davies (l’auteur de l’adaptation de Guerre et Paix, téléfilm événement actuellement diffusé sur la BBC) et Anne Devlin, une auteur irlandaise. Vous savez, depuis les années 60, il n’y a plus vraiment de courant dominant. La scène littéraire est très éclatée, on y trouve toutes sortes de tendances. Et puis, quand ma carrière de romancier a démarré, j’ai pu acquérir un pied-à-terre à Londres. Ma maison de Birmingham n’est qu’à deux heures quinze de mon studio londonien.

C’est essentiel, pour un auteur anglais, d’être publié aux Etats-Unis ?

C’est difficile. Mon deuxième roman a été publié aux USA ; ça a été un flop. Changement de décor a été refusé par dix-huit éditeurs américains. Le premier de mes livres qui ait vraiment percé outre-Atlantique fut Un tout petit monde. Jeu de société a bien marché aussi. J’ai eu droit à une excellente critique dans la prestigieuse section littéraire du New York Times. Mais rien de comparable avec le succès que j’ai connu en France. La publication de mes livres en français a coïncidé avec une période où je commençais à ennuyer un peu mes compatriotes. C’est à ce moment que je suis devenu populaire en France. Une chance inouïe ! Je me souviens que Pensées secrètes est resté trois semaines numéro 1 dans la liste des meilleures ventes de l’Express, chose qui ne m’est jamais arrivée en Angleterre. Malheureusement je ne parle pas français. J’envie Julian Barnes ou Ian McEwan qui, eux, peuvent discuter avec leurs lecteurs français.

Vous êtes adoré des Français au point d’avoir été nommé Chevalier de l’Ordre des Arts et des Lettres. C’est important pour vous ?

C’était il y a vingt ans. J’ai été flatté, bien sûr. Pour l’occasion, j’ai écrit un discours en Français et l’ai appris par coeur (ma femme m’a aidé). L’année suivante, j’ai été nommé Commandeur de l’Ordre de l’Empire Britannique (CBE). Après avoir accepté une décoration française, je pouvais difficilement refuser cette distinction dans mon pays. Mais je ne suis pas fan des honneurs et autres médailles. C’est intimidant. Les cérémonies sont stressantes, il y a tout un protocole, on a toujours peur de faire un faux pas…

Que pensez-vous de la multiplication des foires et autres salons du livre. Vous prêtez-vous volontiers à l’exercice ?

C’est indispensable. L’édition littéraire a changé du tout au tout. Mon premier éditeur n’avait pas d’attaché de presse. Avant 1980, on écrivait un roman, il était accepté par un éditeur, lequel imprimait le livre, en envoyait quelques copies aux journaux et puis il n’y avait plus qu’à attendre de voir s’il se vendait. Aujourd’hui, le Man Booker Prize est devenu un combat de gladiateurs qui passionne le public. Les prix littéraires, les festivals engrangent des ventes considérables. Un auteur ne peut pas refuser de donner des interview, de passer à la télévision, de participer à des rencontres.Peut-être parce que j’ai été professeur, je n’ai pas le trac et j’aime donner des conférences dans les festivals littéraires. Souvent je lis un passage d’un roman. Mais je le modifie un peu pour l’occasion. Dickens faisait pareil, il réécrivait des extraits pour les lire en public. Il se produisait devant des auditoires pouvant aller jusqu’à 2000 personnes. Et sans micro. À Birmingham notamment. Lorsqu’il lisait des scènes de meurtre, des gens s’évanouissaient dans le public, il fallait les évacuer. Je pense que Dickens était un acteur refoulé.

Vous avez adapté Dickens pour la télévision.

La BBC m’a proposé d’adapter Martin Chuzzlewit, le seul livre de Dickens que je n’avais jamais lu ! J’étais ravi. Mais, cela, je le raconterai dans le prochain volume.

« Né au bon moment », David Lodge, traduit de l’anglais par Maurice Couturier, éditions Rivages, 572 pages.

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