Présumées coupables : une plongée passionnante dans les procès faits aux femmes

Publié le 24 février 2017 à 09:00 Mis à jour le 24 février 2017 à 09:00
Ce livre illustré s'attache aux procès faits aux femmes du Moyen-Age à la Libération. Il accompagne une exposition aux Archives Nationales. Les explications de Pierre Fournié, Conservateur général du Patrimoine. 

– Quel est le concept de Présumées coupables ?

Il reproduit une cinquantaine de procès-verbaux et donne à lire des paroles de femmes interrogées pour des crimes considérés, par le passé, comme féminins. Du Moyen-Age à nos jours, elles n’incarnent que 5 à 10 % de la population carcérale ou pénale, mais sont surreprésentées dans des catégories dont nous avons défini cinq archétypes : la sorcière, l’empoisonneuse, l’infanticide, la pétroleuse de la Commune de Paris et la « traitresse » tondue à la Libération.

– Que suggère le titre de cet ouvrage ?

Nous avons voulu montrer que, quand elles comparaissant, elles sont déjà enfermées dans des stéréotypes. L’empoisonnement, par exemple, est considéré comme un crime féminin parce que c’est un acte de lâcheté. On dénie aux femmes la possibilité de commettre un crime de sang parce qu’on les tient pour faibles. Celles qu’on a appelé les « pétroleuses », n’ont pas incendié des bâtiments publics à Paris lors de la Semaine sanglante. Ce sont les hommes qui l’ont fait. Il n’empêche. Quand elles sont interrogées sur leur participation à ces évènements extrêmement violents, leurs interlocuteurs présupposent leur fragilité : ils considèrent qu’elles étaient forcément sous la coupe d’un homme. De plus, les juges instructeurs, les policiers posent aux femmes des questions auxquelles ils ne soumettent presque jamais leurs semblables : ils les interrogent sur leurs amours, sur leur sexualité… Même Louise Michel l’a été sur sa vie affective. On lui a reproché de s’être habillée en homme, comme à Jeanne d’Arc au XVème siècle. A chaque fois, les juges et l’opinion sont envahis par un ensemble de préjugés.

– Ces femmes sont-elles, finalement, coupables ou victimes ?

Il faut prendre les archétypes les uns après les autres, mais, dans bien des cas de figures, la femme est victime de ne pas correspondre à la place que lui assigne la société. Prenons l’infanticide. On attend d’elle qu’elle soit mère jusqu’au bout, qu’elle conçoive ses enfants dans le cadre du mariage. Or, ce crime est souvent le fruit de la conception de l’enfant hors de ce cadre, dans le contexte d’une aventure amoureuse passagère, d’un viol ou d’un inceste. L’empoisonneuse, elle, trahit la fonction nourricière qui est attribuée à la femme jusqu’à assez tard dans l’histoire ; celle de maîtresse du foyer, du garde manger.

Elisabeth Badinter souligne, en préface, qu’aux sentences qui leur sont infligées s’ajoute l’humiliation des corps.

Elle est patente pour les traitresses à qui on a tondu les cheveux à la Libération. Mais ce qui est troublant, c’est qu’au XVIème siècle, dans les procès de sorcellerie, la femme est aussi humiliée. Les démonologues sont persuadés que le diable les marque d’une morsure. Pour la rechercher, on demande au bourreau de les déshabiller et de leur tondre le corps. Une vexation très forte même si elle se passe à huis clos et qui se prolonge jusqu’à l’exécution de la sentence. Lorsqu’une femme arrive sur le bûcher, elle est en chemise, avec des chaînes ou des cordes et elle a la tête rasée.

– Pourquoi s’en prend-t-on à leurs cheveux ?

Très longtemps, la chevelure est l’arme de la séduction. Jusqu’à une certaine époque, une femme ne sort pas dans la rue autrement que coiffée… Il est d’ailleurs assez impressionnant de comparer les procès de sorcellerie et la justice expéditive de 1944-45. La chevelure y est un enjeu, même quand la sentence est populaire. Il existe un petit film tourné dans le Vercors à la Libération, où l’on voit des femmes tondues en cercle avec leurs cheveux brûlant au milieu. On a l’impression d’assister à l’épilogue d’un procès de sorcellerie sous l’Ancien Régime !

– Pourquoi dites-vous vouloir rendre la parole à des oubliées de l’histoire ?

Il y a des personnalités dans ce livre, comme Jeanne d’Arc, Marie Antoinette, Violette Nozière, Marie Besnard, Arletty. Mais la grande majorité est constituée d’anonymes et d’illettrées. Elles disparaissent de l’histoire à l’instar de la sorcière, qui une fois exécutée, est même rayée des registres paroissiaux.  Notre propos est de leur rendre une dignité d’êtres humains.

Le livre : Présumées coupables. L’Iconoclaste. Archives Nationales. 304 p. 25 €

L’expo : Présumées coupables du XIVème au XXème siècle. Jusqu’au 27 mars aux Archives Nationales à Paris. 

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