« Le corps de ma mère », l’envoûtant récit de Fawzia Zouari

Publié le 24 mars 2016 à 17:58 Mis à jour le 24 mars 2016 à 17:58
Le corps de ma mère
Une mère est toujours une légende pour sa fille, le lieu d'où elle parle. D'où jaillit la quête d'un indicible féminin et d'une épopée familiale. C'est là où nous mène le magnifique récit de Fawzia Zouari. Dans l'antre de notre mère et de son langage. Dans le ventre de notre humanité.

Quand la narratrice arrive à Tunis, elle y retrouve sa mère, Yamna,  hospitalisée et dans le coma. Une mère allongée est déjà peu banale mais laissée tête nue c’est à dire complètement nue dans sa tradition est une porte ouverte à l’étrangeté.Il faudra donc la mettre en mots pour la retrouver. L’exercice est splendide sous la plume de l’auteure:  » Il y avait du conte mélangé au lait maternel ».

LES QUATRE FILLES DE YAMNA

Plus périlleux encore quand la fratrie est nombreuse. Les mémoires s’affrontent, chacun s’arc boutant sur sa vérité. Ce sont surtout les quatre soeurs qui s’y collent. La différence d’éducation et de vécu familial entre les grandes, Jamina et Noura « dont maman a fait des prisonnières et des analphabètes comme elle » et les petites, Souad et elle, qui sont allées à l’école, a construit bien sûr une imagerie, une fable différente à chacune. D’autant plus si « Allah recommande de tendre un rideau sur tous les secrets et le premier secret s’appelle la femme. » Le voilà donc ce trésor dont seule la mère a la clé. Et si elle mourrait « en nous laissant orphelin de sa mémoire », s’inquiète l’auteure.

GARDIENNE DE MEMOIRES

« Parce qu’il ne reste aux femmes, dont je suis, qu’un seul et unique privilège: choisir nous-même les ayants droit du peu de bien que nous possédons : nos rêves et secrets », confiait déjà Tounès à son embryon de fille Yamna…. Qui de mieux que l’écrivaine de la famille pour reconstruire le récit de cette mère mystère et la mère mystère de celle-ci. Et nous amener à penser à la nôtre. Car c’est la force de ce livre, il nous ramène en boucle à notre source.

UN MORCEAU D’HISTOIRE DES TUNISIENNES

La Tunisie d’avant l’Indépendance dans son fatras de voile et de silence, de langues aussi…. La Tunisie moderne dans son envie de se libérer du fatras. Celle du Nord et du Sud. Les deux se croisent au chevet de Yamna. Elle en était le trait d’union. La fille du village partie vivre à la ville. Loin de ses codes. Sa fille partira encore plus loin en France . Avec  l’obligation de reconstruire un lien réel ou imaginaire peu importe. De recoller les morceaux. « L’exil c’est peut-être cela vivre en dehors du temps et de sa mère » , dit l’auteure.

ET SI DEMAIN REDEVENAIT HIER

Les acquis sont fragiles et ils méritent que l’on se battent pour eux. Est-ce l’une des intentions de ce livre? Que la Tunisie et les Tunisiennes ne fassent pas marche arrière. Même si la vie de Yamna et Tounès emprunte la langue des Mille et nuits, il n’en reste pas moins que l’une n’est jamais sortie de chez elle et l’autre

assez peu, élevant ses filles à se taire, à ne pas toucher, ni embrasser… à disparaître. Sans trahir leur histoire Fawzia Zouari montre que féminisme et tradition ne font jamais bon ménage. Le retour aux traditions fait toujours mal aux femmes. Le passé est bien à sa place.

Le corps de ma mère, Fawzia Zouari, Editions Joëlle Losfeld, 20€

Les premières lignes du livre

« Ce bruit, dehors! Et au-dedans de moi, ce silence que creuse sa mort, cette main fébrile qui vide mes jours de leur substancepour les remplir de sa vie, dense et secrète. Dans une cache à double fond, j’ai entassé nos souvenirs à toutes les deux. »

Qui est l’auteure ?

Fawzia Zouari, née au kef, est une écrivaine et journaliste tunisienne. Docteur en littératire française et comparée à la Sorbonne, elle vit à Paris depuis 1979.

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