Pourquoi il faut aller voir Mary Cassatt, peintre exceptionnelle

Publié le 30 avril 2018 à 12:00 Mis à jour le 2 mai 2018 à 09:35
Mary Cassatt
Pour la première fois depuis un siècle, Paris consacre une rétrospective à Mary Cassatt, au musée Jacquemart-André, la grande artiste américaine, découverte par Degas, a fait partie du groupe des Impressionnistes. Rare femme peintre et l'une des trois grandes dames de l'Impressionnisme, elle a libéré l'exercice du portrait de son carcan traditionnel.

Très tôt attirée par la peinture, la jeune Mary Cassatt exprime, à moins de 20 ans, son désir immense d’apprendre auprès de l’école française à Paris.

Elle s’y installe à 30 ans et y restera. Rien d’extraordinaire peut-on penser, si ce n’est que nous sommes en 1864 et que cette quasi jumelle de Berthe Morisot et Marie Bracquemond, rapidement repérée par Degas, intégrera le groupe impressionniste, « les indépendants ».

En 1877, elle expose sa « Petite fille dans un fauteuil bleu » qui fait l’affiche de la rétrospective en ce moment à Paris. On y lit clairement, cet art libre du portrait qui fait sa signature. Mary Cassatt aime ce qui vit, dans la langueur et la paresse de l’enfance. Dans cette gestation active.

Difficile d’être femme et peintre

La deuxième moitié du XIXe siècle ne fait pas vraiment la part belle au talent féminin. Un critique, Octave Uzanne, écrira même, un peu plus tard en 1910, n’ayant aucun problème à « genrer » son propos pour parler de la femme peintre en général : « C’est une terrible raseuse pour qui la courtise, car elle oublie son sexe et ses qualités innées ; elle évolue vers l’androgynie… »

Mais tout ceci n’arrête pas la jeune Mary, élevée dans une Amérique qui, depuis la guerre de Sécession, manque d’hommes et par obligation laisse un peu plus de place aux femmes.

Dès 1879, elle n’a alors que 35 ans, Zola parlera de « son originalité singulière », et l’on connaît suffisamment l’écrivain pour comprendre que ce n’est pas un pléonasme.

L’amie de Degas

Ses amis seront Courbet, Degas, Manet… D’eux, elle dira : « Déjà, j’avais reconnu mes véritables maîtres. J’admirais Manet, Courbet, Degas. Je haïssais l’art conventionnel. Je commençais à vivre… »

Sans ambiguïté dans ce groupe majoritairement masculin, elle restera une jeune Américaine, prude et collet monté et ne se mariera qu’à 56 ans, à un collectionneur cinq ans plus jeune. Pas le temps avant sans doute. Toute dévouée à son art. Ses grandes émotions viennent de la peinture. Son coup de foudre : l’art de Degas. Subjuguée par ses pastels et ses estampes, dont elle s’emplit à l’envi : « J’allais souvent m’aplatir le nez contre cette vitrine, et absorber autant que je le pouvais son art. Cela changera ma vie… ». Le maître confiera d’elle : « En voilà une qui sent comme moi… » Une amitié fascination, presque indéfectible, les unira, jusqu’à ce que le procès Dreyfus les sépare, Mary rejoindra Zola dans son combat contre les antisémites.

Une Américaine très française

Première rétrospective en France, depuis 100 ans, consacrée à cette artiste immense et inconnue qui pourtant a reçu la légion d’honneur en 1904 et que George Clémenceau qualifiait en 1909 de « gloire de la France ». Si son art explose les conventions, ses idées aussi. Elle fait connaître et acheter les toiles des Impressionnistes aux musées américains. En 1915, à New York, elle organise une exposition pour soutenir le droit de vote des femmes avec la collectionneuse et mécène Louisine Havemeyer, voix du féminisme Outre-Atlantique qui est aussi sa meilleure amie… Mary finira sa vie à 82 ans diabétique et aveugle. Elle repose au cimetière du Mesnil-Théribus, petite commune de l’Oise où sa famille avait un château.

Une exposition unique

Rendez-vous donc dans le si joli musée Jacquemart-André, posez-vous quelques instants dans sa cour arrondie façon petit Trianon, il y a un peu d’ombre. Empruntez le grand escalier, fermez les yeux (pas complètement ce serait risqué) pour écouter l’écho des frous-frous des crinolines en crin de cheval des contemporaines de Mary Cassatt.

Elle aimait peindre ces femmes modernes, n’ayant pas droit de cité dans les cafés, qu’elle repérait, dans les théâtres, séances en matinée obligent, celles du soir étant interdite aux femmes seules ou célibataires. Arrêtez-vous devant cette grande toile, « Dans la loge ». Un véritable questionnement sur le regard et l’invitation au regard. La peintre fixe sur sa toile, une jeune femme contemplant un spectacle, elle-même observée par un homme dans la loge en face. Et vous invite au spectacle. Qui regarde qui ? Pourquoi ? Comment ? Un peu comme sur une photo, Mary Cassatt a « chopé » l’instantanéité de tous ces points de vue. Nous sommes déjà bien loin de l’académisme de l’époque et d’un art du portrait figé.

La peintre des mères à enfants

Un peu plus loin, « Petite fille dans un fauteuil bleu », tableau tant aimé de Degas qui fera connaître son implication dans la réalisation. Ce qui frappe, là aussi, c’est le pied de nez aux conventions. Il ressemble à une déclaration des droits de l’enfant à rêver. Et annonce l’exceptionnelle liberté de ses Maternités. Quelle facilité à rendre le langage intime, sensuel, corporel des femmes et leurs bébés pour une peintre qui n’aura pas d’enfant. Elle se réalise en donnant à voir l’abandon dans la symbiose. Assez unique. « Peindre l’adulte, c’est résumer, peindre l’enfant, c’est prévoir » dira-t-elle. Cette spécialiste de « mère à l’enfant » laïque, fera dire à l’historien d’art, Camille Mauclair « elle a inventé les madones modernes ».

Formée à la peinture à l’huile Degas va la guider sur le chemin de la gravure et l’estampe, elle va y consacrer une partie de son art. C’était aussi une technicienne hors pair et hors des sentiers battus. Son travail à la pointe sèche lui vaudra la renommée et le succès dans son pays. Bonne visite !

Jusqu’au 23 juillet au musée Jacquemart-André. www.musee-jacquemart-andre.com

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