Calais, en attendant les bulldozers

Publié le 19 février 2016 à 09:00 Mis à jour le 30 décembre 2022 à 10:31
Bienvenue à Calais
On croyait avoir tout vu, tout lu sur la jungle de Calais, ses bouts de tentes déchirées flottant au vent, sa gadoue et ses montagnes d'immondices à l'entrée de chaque « avenue », l'A16 et son spectacle de guerre, la file de camions pris d'assaut par les réfugiés au péril de leur vie...

Mais c’était sans compter sur le talent de Marie Colombani et du dessinateur Damien Roudeau qui ont passé dans le camps près de six semaines depuis septembre dernier. En guise d’introduction à leur opus, les deux comparses donnent le ton : « Ne laissons pas s’inscrire aux frontières de la France la devise qui orne l’entrée de l’Enfer de Dante : « Toi qui entres ici abandonne toute espérance. »

Une histoire de Petit prince version Calais

En une trentaine de croquis et quelques dizaines de pages, ce petit fascicule réussit à travers des fractions de vie, tel un miroir brisé, à donner un visage aux réfugiés, à reconstituer ici ou là quelques bribes de leurs parcours avant d’atteindre l’Europe et échouer à Calais. La dernière page tournée, on ne peut oublier Sara, la jeune Erythréenne de 16 ans qui n’avait ni paix ni cesse que d’atteindre l’Angleterre et qui après avoir parcouru 11 000 km s’est fait écraser par le poids lourd auquel elle tentait désespérément de s’accrocher. Ni le mystère de ce petit garçon de 10 ans, qui ne parlait que l’arabe et déambulait dans le camps, toujours seul en pleurant et dont on a découvert grâce à d’actives recherches que toute la famille est restée … au Soudan. Une histoire de Petit prince, version Calais.

La colère et la honte mêlées

Bienvenue à Calais, ce sont aussi des chiffres que l’on n’a pas l’habitude d’entendre, presque impudiques que l’auteur, animée par la colère et la honte, n’a pas peur de nous rappeler : « Colère de ce qu’on leur inflige, honte d’être française même si la solidarité de certains Français reste admirable  » confie Marie-Françoise Colombani. 17, 4 hectares pour la surface du camps, 120 lattrines, 89 robinets d’où s’écoule une eau souvent nauséabonde, 125 conteneurs placés depuis l’automne dernier au milieu de la jungle et ses tentes, avec dans chacun 12 lits superposés, soit, 1,25 m2 par personne. C’est aussi 500 sacs de nourriture offerts par les grandes surfaces deux fois par semaine, 2500 repas servis tous les jours…Les migrants, eux, sont plus de 6000 alors faites le calcul…Autant de chiffres qui racontent autant de galères et de souffrances. Mais Calais c’est aussi sous les traits sépia du crayon de Damien Roudeau des visages fendus de larges sourires, des bras ouverts, des mains tendues: « Avec la barrière de la langue quand on est là-bas, on passe son temps à étreindre les gens comme pour s’excuser de ce que nous leur infligeons, de notre impuissance  » dit encore Marie-Françoise Colombani. Comme si malgré le chaos de ce camps et son cortège de misère, mafia, contrebande et violence, la fraternité était réelle et permettait à ces hommes, ces femmes et ces enfants de s’accrocher à leur dignité en attendant les bulldozers qui ont promis de tout raser une fois encore.

Bienvenue à Calais, les raisons de la colère de Marie-Françoise Colombani et Damien Roudeau. Ed Actes Sud, 4,90€ Tous les droits d’auteur et bénéfices iront à l’intérieur du camps à deux association,  l’auberge des migrants et  l’Ecole laïque du chemin des dunes.

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