L’œil du bourlingueur : paradoxal Vietnam

Publié le 28 janvier 2016 à 19:00 Mis à jour le 3 février 2016 à 11:14
Paradoxal Vietnam
Faire coexister un régime politique communiste et une économie capitaliste : voilà un grand écart commun au Vietnam et à son grand voisin chinois. Pour le voyageur français, cela créé un choc visuel et un incroyable mélange de repères...

Dimanche 17 janvier 2016, guide et chauffeur m’attendent à l’aéroport de Hanoï. Encore secoué par 11 heures d’avion sans guère fermer l’œil, je ne m’attends pas à ce qui va arriver d’ici quelques kilomètres seulement. C’est d’abord un drapeau qui apparaît dans mon champ de vision, tout simple : rouge frappé en son centre d’une étoile jaune à cinq branches. Mon cerveau embrumé me fournit un semblant d’explication : « souviens-toi, tu es en pays communiste, c’est normal qu’ils mettent en avant le rouge ». La confirmation n’attend guère. L’avenue qui mène au centre-ville est pavoisée tous les 20 mètres de l’oriflamme étoilée. Il alterne avec une autre oriflamme, celui-ci frappée de la faucille et du marteau. Au-dessus du flot de voiture qui se densifie, des banderoles étalent de larges caractères, toujours sur fond rouge.

12e congrès du PC

J’interroge mon guide sur leur signification. « Elles annoncent la tenue prochaine du 12e congrès du parti communiste vietnamien, me confie-t-il. C’est un événement rare, il n’a lieu que tous les cinq ans. Le Congrès valide les grandes décisions et permet de désigner nos dirigeants, à commencer par le secrétaire général du parti. C’est l’homme qui détient le plus de pouvoir dans le pays ». Ainsi ce fonctionnement qui fleure bon son Lénine existe toujours en 2016, et pas seulement en Corée du Nord ! Au Vietnam, il s’accompagne des joyeusetés habituelles : élections monopolisées par le parti unique ; presse, chaîne nationale et Internet censurés ; droit de manifestation quasi inexistant ; blogueurs arrêtés… « Au moins, me dis-je, les Vietnamiens bénéficient des avantages classiques d’une économie planifiée : écoles et hôpitaux gratuits, plein emploi, égalité salariale… ». Que nenni !

Une économie de marché

En 1986, le 6e congrès du parti communiste vietnamien a pris une décision radicale : abandonner l’économie planifiée pour passer à l’économie de marché. La décision a un avantage énorme : plus de famine du tout, et une conséquence : la concurrence fait désormais la loi. Plus rien ne protège le Vietnamien de base, soumis à des salaires tellement bas que même la Chine trouve intéressant de délocaliser ici ses entreprises. Les grands gagnants, ce sont les responsables du parti communiste qui n’ont qu’à se partager le gâteau : dessous-de-table, marchés truqués, prise de participation… les recettes sont universelles ! Et c’est ainsi que l’on voit pousser dans chaque ville d’exubérantes villas, à coup de millions de dollars.

Kitsch et magouilles en villa

Face aux premières villas entrevues à Hanoï le premier jour, mon guide reste évasif. Les jours suivants, il devient plus bavard lorsque les mêmes prétentieuses façades se profilent par dizaines à Ninh Binh, à Hué et finalement dans la plupart des grosses bourgades. Le phénomène touche tout le pays : il suffit d’avoir quelques responsabilités locales pour voir l’argent affluer. J’écarquille les yeux mais oui : certaines prennent pour modèle le Capitole de Washington ou la Maison-Blanche, d’autres enchevêtrent coupole baroque, colonnades, frontons et angelots sur 5 ou 6 étages… L’audace et le kitsch pulvérisent les frontières du mauvais goût ! La magouille a pignon sur rue dans un pays où l’on professe encore les valeurs marxistes. Quel choc et quelle claque !

Des policiers en chasse

Simple journaliste spécialisé dans le tourisme, je n’ai aucune vocation à devenir un polémiste politique. Mais comment rester muet lorsque, à quelques mètres de ces symboles si évidents de corruption, fleurissent les panneaux de propagande où toute la société regarde le drapeau de façon énamourée ? Le peuple vietnamien prend tout cela avec philosophie, merci Bouddha et Confucius ! Tout juste râle-t-il quand un policier prétend qu’un feu vert a été franchi au rouge. La fête du Têt approche et il faut bien que le policier de base aide son chef à couvrir la famille de cadeaux. Et tant pis si le malheureux chauffeur professionnel sur qui ça tombe doit verser son tribu de 30 euros, il lui reste encore 90% de son salaire…

Tout est bien qui finit bien

Aujourd’hui, jeudi 28 janvier 2016, je suis rentré en France. Là-bas, les Vietnamiens vont pouvoir ranger drapeaux, oriflammes et banderoles : le 12e congrès vient de s’achever. Les responsables locaux du parti, eux, vont pouvoir continuer à bétonner en paix : le secrétaire général Nguyen Phu Trong vient d’être reconduit dans ses fonctions.

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