Pour la Journée de la Femme, rencontre avec une grande dame qui murmure à l’oreille des orangs-outans.

Publié le 8 mars 2016 à 09:00 Mis à jour le 8 mars 2016 à 09:00
Francine néago
Dans un petit hôtel discret, Francine Néago est connue comme le loup blanc. Alerte et enthousiaste, la primatologue de 86 ans nous parle avec passion de ses grands amours poilus. Inspirant.

« J’ai toujours fait ce que je voulais. Tout est possible… « 

Dès son arrivée en France, Francine tombe pourtant sur un os. Impossible de récupérer son allocation lui permettant de vivre en Indonésie pour s’occuper des orangs-outans. Dans un dénuement total, elle échoue un mois au Samu social mais croise le chemin d’une psychiatre qui la sort du trou. Son sort émeut les médias et une chaîne de solidarité s’organise. Pour lui permettre de retrouver son arche de Noé et les éclopés de la jungle, sacrifiés par la production intensive d’huile de palme. Et la France de découvrir une spécialiste française qui a consacré sa vie aux « hommes de la forêt », traduction malaise pour désigner ses amis roux et hirsutes.

Un orphelin qui donne la banane

Haute comme trois pommes, elle copinait déjà avec l’orang-outang du Jardin des Plantes. Le gros mâle la singeait et elle le faisait rire. Sa vocation de vétérinaire un temps contrariée par son père , « ce n’est pas un métier pour les femmes, tu n’auras pas la force de délivrer un veau« , elle fait médecine. A 33 ans, la jeune diplômée, née sous le signe du cheval et non du singe, a pourtant le béguin pour un jeune orang-outan enchaîné. Il désigne les fruits sur la table en poussant un cri aigu, comme une requête en suspens. C’est la révélation : « Toi je veux te connaître, tu n’es pas un animal. Je veux passer ma vie à te comprendre« . Elle lui donne une banane qu’il inspecte, lèche, renifle. Malgré les idées reçues, il y peu de bananes dans la jungle. Puis, il lui offre le fruit délicatement pelé. Bouleversée par son cadeau, elle pleure et le singe de l’enlacer, d’essuyer ses larmes. L’orphelin velu est à vendre, elle l’achète pour 50 dollars :

« Aujourd’hui, ils valent 15000 dollars. On les achète pour prouver qu’on est riche. »

C’est le coup de foudre. Deux ans plus tard, elle part étudier le comportement des grands singes du parc zoologique de Surabawa, partageant ses soins entre animaux et population locale. La révolution communiste met l’Indonésie à feu et à sang. Elle fonde un hôpital et un dispensaire pour femmes et enfants. Dans le jardin de l’hôpital ou de sa maison, un refuge pour les grands brûlés de la jungle.

Vivre en cage avec l’amitié de Suzie

Soigner les animaux ne lui suffit pas, il faut aussi vivre avec eux pour mieux les comprendre. Comme Eugène Delacroix squattait les écuries pour peindre les chevaux, elle s’enferme pendant six mois dans une cage avec 18 orangs-outans dans un zoo de Singapour. « J’étais la 19ème ! « . Au cœur de la communauté entre mâles, femelles et enfants. « Mon mari était jaloux comme un tigre ! Mais il comprenait mon besoin de connaître cette espèce en profondeur« . Le courant passe bien avec la dominante du groupe : Suzie. La femelle hyper intelligente est dentiste, médecin dévouée et fine psychologue, s’adaptant à chaque tempérament. Leur rencontre est un poil musclée : « J’ai pris dans mes bras un bébé orphelin qui hurlait. Friday, arrivé un vendredi, avait été torturé. Elle m’a poussé violemment pour le reprendre. Mais elle a soigné mon coude blessé avec sa langue« . Francine mitonne les repas qu’ils partagent sur une grande table : un menu végétarien composé de riz, de fruits, de légumes et de fleurs :

« Quand j’ai raconté mon expérience au Samu, ils ont cru que j’étais folle ! »

Pourtant, les informations collectées sont uniques et font toujours école au Smithsonian National Zoo. Dix ouvrages comme des rapports scientifiques rarement édités pour le grand public. Un livre pour enfants « A young orang outan in a loving home » lui a même été volé par une australienne qui a écrit beaucoup de bêtises : « Je refuse que mon nom y soit associé « . Celle qui ne s’est jamais souciée de la notoriété était trop occupée par sa planète des singes.

Apprendre à parler aux orangs-outans avec un ordinateur

La primatologue passe dix ans en Californie pour lancer la première et seule étude au monde du langage des signes et alphabet phonétique avec des singes. C’est Bulan qui s’y colle, un mâle de caractère. En quelques mois, la communication est possible. Au bout d’un an, il écrit une phrase en anglais pour sa professeure : « Je ne t’aime pas aujourd’hui« . La Belle et la Bête s’expliquent, par ordinateur interposé.

« Pourquoi ne m’aimes-tu pas, je vais pleurer.

Non, ne pleure pas

Mais tu m’aimeras demain ?

« Quand un singe se gratte la tête, c’est qu’il réfléchit intensément « 

Peut-être

Pourquoi ne m’aimes-tu pas ?

Parce que tu ne m’as pas emmené en auto ».

Comme toutes les stars, Bulan veut se promener en voiture tous les jours, déplacer la Mercedes d’un colossal coup d’épaule et changer les pneus sans pince ni cric !

Michael Jackson n’a pas que de des fans

Le Tout-Hollywood en fait sa mascotte. Très sociable, Bulan adore faire le clown pour amuser la galerie. Michael Jackson et son chimpanzé Bubbles sont des habitués. Les singes jouent ensemble mais Bulan n’aime pas le chanteur et s’en détourne toujours. Habitué à sa cour, le roi de la Pop questionne Francine avec arrogance. « Si un orang-outan ne vous aime pas, il ne vous aimera jamais. C’est lui qui choisit « . Le programme s’arrête net à la mort de Bulan, tué accidentellement par un chimpanzé. 15 années d’études tombent à l’eau :

« Dès que je retourne en Indonésie, je reprends mon étude sur le langage avec un orang-outan de deux ans. Il peut nous dire qui il est « 

Si l’érudite parle cinq langues, elle renonce à étudier leur langage, trop complexe : « Un son est toute une phrase. L’oreille humaine n’est pas adaptée à cela « . Mais ils ont encore beaucoup de choses à nous apprendre. Ces merveilleux élèves mémorisent vite, il suffit de leur montrer une fois. Une mémoire d’éléphant ? En quelque sorte, ils sont même capables de différencier 80 nuances de vert. Les premières lettres que Bulan retient sont L et V pour dire LOVE. Et lorsque Francine évoque ses grands enfants, son œil pétille, les projets fourmillent, son coeur se serre. Elle et eux, c’est une longue histoire d’amour de 55 ans. On la croit sur parole.

Le pacte secret des quatre femmes primatologues

Dans les années 70, les études sur le langage animal sont à la mode : Penny Patterson et Dian Fossey ( qui a inspiré le film Gorilles dans la brume) avec les gorilles, Jane Goodall et les chimpanzés. Que des femmes ? « Nous étions toutes des femmes parce que je pense que les hommes n’avaient pas l’infinie patience et l’amour qu’il faut pour communiquer avec ces êtres « . Francine se souvient avec émotion de sa dernière rencontre avec Dian Fossey une semaine avant son assassinat en 1985. On lui avait tué son gorille Digit. Pour se venger et faire souffrir comme elle avait souffert, elle avait enlevé l’enfant du braconnier. « Je l’avais prévenue qu’en Indonésie, je serais tuée pour cela. Elle est morte pour rien et aurait dû vivre encore longtemps« . Entre la doyenne et ses sœurs de singes, le lien est puissant :

« Je crois que Jane Goodall est à Paris en ce moment, il faut que je la voie ! »

Le pacte de fidélité des quatre femmes primatologues n’est pas rompu. Lors d’un dîner au Kenya, elles avaient pris l’engagement de ne jamais parler les unes contre les autres, et de toujours respecter le travail de chacune. Les calomnies courent vite, dans la jungle comme ailleurs. Et les prédateurs à la dent dure sont sans pitié.

Se regarder dans l’eau des rivières et dans les yeux des orangs-outans

Impossible de terrasser cette mère-courage qui n’a pas eu d’enfants mais a élevé des centaines d’orangs-outans. La fibre maternelle peut et doit sauver l’espèce. « Ce sont des mères tellement exceptionnelles« . Car les femelles, extrêmement généreuses, s’occupent avec amour de tous les petits, sans exception d’espèces. Elles sont toute intelligence, tout amour, veulent aimer et être aimées. Ses protégées élevaient même des poussins et des lapins ! Dans sa jungle de Sumatra tellement vaste qu’elle n’a pas été précisemment mesurée, les femelles orangs-outans pourraient éduquer les orphelins. Pendant sept ans, les petits doivent tout apprendre pour être autonomes. Seule la construction du nid tressé de branches est innée. Avec une patience extraordinaire, ces matriarcats sont des aubaines pour la transmission. Les mâles sont solitaires mais cette espèce vit en harmonie et en paix :

« Je suis certaine qu’ils vivaient en groupe il y a deux millions d’années « 

Pour elle aussi, le temps est venu de transmettre aux vétérinaires et chercheurs. « Ils doivent apprendre à protéger leur faune« . Créer une école d’éthologie, une clinique vétérinaire, une école de comportement. Un rêve qui pourrait voir le jour grâce à l’association SOS-MAWAS.

« Je ne peux pas vivre six mois en France. Ce n’est pas ma vie« . Paris tend des miroirs trompeurs. « Là-bas, je ne me vois que dans l’eau de la rivière. Je suis vraiment une vieille dame dis donc « . Pas du tout, les projets abondent. Encore un mois à tenir… Dans sa petite maison en brique à l’orée de la jungle, bercée par les chants merveilleux des siamongs et des gibbons, elle rêvera bientôt dans les grands bras poilus de ses orangs-outans : « Se réveiller, sentir un orang-outan qui soulève vos paupières comme un enfant pour voir vos yeux, c’est un moment merveilleux « .

A lire sur le site :

La solidarité et la création de l’association SOS MAWAS  : Francine Néago pour l’amour des orangs-outans

Faire un don pour aider Francine et son association

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