Interview – François Gémenne : « les migrants sont des gens normaux qui veulent juste vivre en paix »

Publié le 27 septembre 2016 à 08:30 Mis à jour le 27 septembre 2016 à 08:30
accueil réfugiés
Alors que le président de la République, François Hollande, s'est rendu hier à Calais, en pleine polémique contre le plan de répartition, François Gemenne, chercheur et spécialiste des flux migratoires nous éclaire sur le rôle et les aspirations des migrants. De quoi tordre le cou aux idées reçues.

François Gémenne est spécialiste des flux migratoires, chercheur du CNRS à l’université de Liège et à Sciences-Po Paris. En cette Journée mondiale des réfugiés et après deux années, particulièrement terribles, qui ont vu près de 20 millions de personnes, jetées sur les routes et forcées à l’exil, ce spécialiste a répondu à nos questions. Un regard positif qui balaye les peurs irrationnelles.

Ces flux migratoires sont-ils inédits ?

En termes de quantité, depuis la seconde guerre mondiale, ils le sont mais il y a déjà eu en France de tels flux. A la fin des années 30, ce sont 800 000 espagnols qui ont traversé les frontières. La différence réside en deux points. Le premier, c’est leur religion même si on a une mémoire très sélective car pendant la guerre des Balkans, entre 1991 et 1999, des musulmans bosniaques sont venus en France sans que cela pose le moindre souci. Le deuxième point, c’est le nombre de morts pendant les traversées, les conditions inhumaines de cet exil.

Est-ce un défi pour l’Europe ?

Bien sûr. On ne voit ces flux migratoires que par le petit bout de la lorgnette. A l’échelle du continent européen, ces milliers de migrants, ce n’est pas grand-chose, ils sont tout à fait absorbables par l’Europe ! Evidemment, cela crée des tensions dans les zones où ils arrivent car rien n’a été anticipé, réfléchi… L’Europe pourrait tout à fait délivrer des visas militaires pour faire venir ces gens et ne pas donner des images ubuesques reprises en boucle depuis des mois ! Les moyens existent pour mieux accueillir, recevoir les réfugiés, mais ils ne sont pas mis en œuvre… Jamais les frontières de l’Europe n’ont été aussi fermées. Ce n’est pas un bon signe pour l’avenir de l’union européenne…

Certains en tirent-ils des bénéfices ?

Très clairement, cette absence de politique européenne fait le jeu des passeurs. Aujourd’hui, ce sont eux qui décident de tout, du nombre, des conditions. On voit ce que cela engendre. On ne peut pas reprocher aux médias de couvrir et de montrer la réalité. Les images sont terribles mais elles sont une réalité et non pas une déformation des médias.

Quel est l’enjeu pour la France ?

Avec cette crise, on s’est rendu compte du peu d’attractivité de la France. Pour ceux qui en doutaient encore ! Aujourd’hui, notre pays est vu comme un pays incapable d’accueillir, un pays aux idées racistes. Cette image de la France terre d’asile, pays des droits de l’homme est révolue depuis des décennies malheureusement. Et les hommes politiques ne font rien pour changer les choses. Il n’y a pas de projet politique, humain… Les politiques ont, depuis des années, renoncé à proposer, à « convaincre », ont renoncé à leur mission première. Aujourd’hui, ils suivent l’opinion.

Pourquoi les seniors sont-ils en première ligne ?

Les seniors, parce qu’ils ont du temps et de la place chez eux, sont nombreux à accueillir des migrants, en France comme en Allemagne ou encore dans les pays du nord, où c’est d’ailleurs encouragé. Les gouvernements scandinaves ont compris depuis longtemps l’intérêt de faire appel aux seniors. Ils créent ainsi de l’habitat à plusieurs générations, dans l’intérêt de tous, des réfugiés comme des seniors. Les premiers vont apprendre la langue du pays plus vite, les us et coutumes, vont se sentir mieux acceptés. Les seconds rompent ainsi leur isolement, se sentent utiles ! Depuis le début de la crise des migrants, on reçoit énormément de demandes pour aider. Les citoyens sont désemparés devant l’inaction de l’Etat et ce sont eux qui agissent !

Alors comment expliquer qu’autant de Français aient peur ?

La plupart des peurs sont liées à la différence de religion et à des peurs totalement irrationnelles : les migrants seraient différents de nous ! Quelle erreur, ils sont à l’image de la société qui les accueille, il y a parmi eux des gens exceptionnels et des salauds mais la plupart sont juste des gens normaux… qui veulent vivre en paix et travailler.

Qui sont les migrants ?

Ceux qui arrivent de Syrie sont, pour majorité, très éduqués. Les plus « nantis » ont réussi à venir jusqu’en Europe sans trop de problème. Ce sont souvent des jeunes, très diplômés. Les autres, moins argentés, sont aujourd’hui dans des camps aux frontières. Tous ont une soif de vivre et de réussir ! Ils ne viennent pas profiter. Ils veulent travailler, s’intégrer, faire leur vie et offrir un avenir à leurs enfants.

Ils ne vont pas prendre le travail des Français. Cette idée est totalement erronée comme elle l’est d’ailleurs pour l’émigration en général ! Il n’y a pas de compétition : soit ils prennent des postes extrêmement qualifiés pour lesquels il y a peu de postulants, soit ils accèdent à des postes très peu qualifiés délaissés par les nationaux !

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